CORRÈGE

CORRÈGE
CORRÈGE

Hautement apprécié de son vivant, l’Émilien Corrège mérite les éloges de l’historiographe toscan Giorgio Vasari, qui le place dans la succession immédiate de Léonard et de Giorgione. L’évolution fulgurante de son œuvre servit de modèle aux maniéristes émiliens; ses figures «sans pesanteur» seront reprises par Primatice. Tous les grands coloristes des XVIIe et XVIIIe siècles «fréquentent son école» figurative – les Carrache aussi bien que Coypel, qui s’en inspire pour ses projets de coupoles. Mengs, dans ses Réflexions de 1782, dira de l’œuvre de Corrège qu’elle «a réalisé la plus parfaite dégradation de la couleur et a exprimé les formes les plus délicates et presque insensibles».

Figure isolée, Corrège nous fournit, dans une œuvre mystérieusement sensuelle, une des meilleures démonstrations de l’indigence de la «perspective historique» dont l’évolutionnisme trop mathématique ne saurait rendre compte des artistes «en marge». Le chemin très personnel parcouru en quinze ans seulement par Corrège nourrira deux siècles de peinture européenne. Son élève, Parmesan, en essayant d’institutionnaliser l’élégance indicible des coloris de Corrège, a démontré son impuissance à matérialiser en formules académiques un «moment poétique» qui reste le secret de cet «épicurien d’un art tout en nuages d’une atmosphère vibrante, pleine de parfums et de sourires» (Venturi).

Un peintre émilien

La vie du peintre émilien Antonio Allegri, dit le Corrège, né dans la ville qui lui donna son nom, n’est connue que par des témoignages indirects; à l’incertitude de sa date de naissance s’ajoutent les informations imprécises au sujet de sa vie, de sa culture et de sa formation artistique. Seuls quelques contrats et documents d’archives fournissent les repères certains de l’évolution d’un des plus fascinants talents de la Renaissance italienne. Dans les Vies des plus célèbres peintres ... (1550), Vasari trace le portrait trop simplifié d’un peintre solitaire, génie inquiet et bizarre, isolé dans la modestie exemplaire d’une existence provinciale. L’iconologie savante des dernières mythologies de ce peintre parmesan, le raffinement distingué de leur enveloppe formelle ainsi que la participation de Corrège aux délibérations d’une commission chargée de la surveillance de la construction à Parme de l’église de la Steccata (documents de 1525) contredisent cette légende. Une étude d’Erwin Panofsky sur l’iconographie de la chambre de Saint-Paul (vers 1519) situe Corrège dans l’entourage des humanistes émiliens qui se recrutaient parmi les poètes et numismates les plus érudits.

Les biographes de l’artiste situent ses débuts dans sa ville natale et à Mantoue. Élève de son oncle Allegri et d’autres artistes mineurs, le jeune peintre se souviendra des perspectives de Mantegna (fresques de la chambre des Époux au palais de Mantoue); ce modèle et la perfection d’un dessin d’une prodigieuse légèreté fourniront des conditions idéales au déploiement de son talent. Les premières œuvres de Corrège sont marquées par l’héritage du sfumato indécis des maîtres secondaires du protomaniérisme émilien (Longhi). Leurs interprétations entachées de provincialisme essaient d’associer les enseignements des Florentins – solidité architectonique des compositions et perfection du dessin anatomique – avec le nouveau sens de la couleur des Vénitiens.

L’œuvre de Corrège va osciller entre les exemples de Costa ou d’Aspertini et le «nouveau frisson» intellectuel du sfumato métaphysique transmis de Lombardie par les élèves de Léonard de Vinci; il réalisera ainsi une synthèse brillante des tentatives profondément «picturales» qui marquent en Italie centrale le début du XVIe siècle avec les œuvres de Fra Bartolomeo et d’Andrea del Sarto à Florence, de Beccafumi à Sienne et de Dossi à Ferrare. La Madone de Saint-François (1515, Dresde), La Sainte Famille de 1516 et L’Adoration des bergers , dite La Nuit (1530, Dresde), témoignent des profondes affinités du jeune artiste avec le dolce stil nuovo .

Les grands ensembles décoratifs

L’art de Corrège se révèle pleinement avec les fresques de la chambre de Saint-Paul (1519-1520, couvent de Saint-Paul, Parme), qui sont l’affirmation d’un talent exceptionnel. Cette explosion d’un style totalement nouveau pour l’Émilie, cette rapide maturation du vocabulaire formel du jeune peintre sont inconcevables s’il n’a pas connu les grands exemples romains. L’équilibre de la composition, la solidité du dessin anatomique, une nouvelle conception de la couleur – proprement tonale – confirment la thèse d’un voyage à Rome, vraisemblablement aux environs de 1517-1519. Ces fresques, remarquables par leurs nuances mesurées et leurs tonalités monochromes, sont parmi les décorations de Corrège la seule œuvre tranquille et équilibrée. La réussite toute classique de cet ensemble décoratif permet au peintre de recevoir les plus grandes commandes parmesanes. En 1520, il commence les fresques de l’église Saint-Jean-l’Évangéliste (la vision de saint Jean à Patmos, représentée sur la coupole, est terminée en 1524); toujours à Parme, on lui propose, deux ans plus tard, un contrat pour la fresque de la coupole octogonale de la cathédrale (1524-1530). Donnant libre champ à sa vertigineuse imagination spatiale, Corrège «gaspille avec la prodigalité la plus folle ce don miraculeux du mouvement» (Berenson). Des personnages proches de Michel-Ange, projetés dans un mouvement d’une immatérielle légèreté, créent des tourbillons de formes colorées. Avec un siècle d’avance sur les décorations spectaculaires du baroque, Corrège réalise le rêve des plafonds vertigineusement «aspirés» du père Pozzo. La perfection du dessin, cette cantilena lineare , est mise au service d’une sensibilité de coloriste sans égale.

Les prémices de l’esthétique baroque

Les toiles religieuses, qui constituent un pendant plus calme à ses fresques fougueuses, montrent l’évolution de l’artiste vers une complication des visions obliques, placées dans des perspectives diagonales; l’accentuation des recherches tonales est réalisée avec une perfection que Mengs définit comme l’«intelligence du clair-obscur». Exemple parfait de la «troisième manière», selon Vasari, de cette modernité sensuelle de la morbidezza des chairs, Corrège cultive son tempérament voluptueux dans les «nuances suaves et tendres» (Stendhal) et excelle dans l’évocation du charme. Maître incontesté de l’expression des raffinements sentimentaux, sans pour autant tomber dans la mièvrerie, Corrège préfigure l’esthétique baroque (La Déposition de croix et Le Martyre de saint Placide et sainte Flavie , vers 1526, pinacothèque de Parme).

L’instabilité des poses est insérée dans d’étranges raccourcis de perspectives (La Madone de Saint-Jérôme , pinacothèque de Parme), l’agencement pyramidal de l’espace est comprimé et «travaillé» avec des moyens de pure virtuosité picturale. La marque toute personnelle d’un style gracieux se lit sur les visages des anges au sourire rêveur (Le Mariage mystique de sainte Catherine , 1526, Louvre). Oscillant entre la mode des nocturnes (L’Adoration des bergers ) et le dégradé du crépuscule aux nuances d’émail, Corrège excelle dans les raffinements du clair-obscur, mystérieusement ambigu. Il exécute, pour Hercule d’Este, une dernière série de peintures mythologiques aux tons de pastel très nuancé qui annonce la qualité de l’œuvre de Chardin. Dans la Danaé (vers 1530, galerie Borghèse, Rome), on peut voir la recherche de l’impossible disparition de la matière, cet évanouissement proprement miraculeux des contours, auquel aboutit le nuage coloré de Jupiter dans Jupiter et Io (Kunsthistorisches Museum, Vienne). Corrège est le peintre de la volupté féminine que traduisent les arabesques des corps: l’esthétique du «sublime» est née avec l’affirmation d’une nouvelle sensibilité formelle qui s’opposait à l’intellectualisme florentin.

Corrège
(Antonio Allegri, dit il Correggio, en fr. le) (v. 1489 - 1534) peintre italien. Exaltant la sensualité, il annonce l'esthétique baroque.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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